Prendre soin de soi lorsque son enfant est hospitalisé
Anne Raynaud est psychiatre, conférencière et autrice, notamment de « Enfant sécurisé, enfant heureux ». Elle a aussi fondé l’Institut de la Parentalité afin d’accompagner les parents à mieux comprendre les besoins des enfants. Dans cet article, elle nous parle de l’importance de prendre soin de soi lorsque son enfant est hospitalisé.Pourquoi est-ce important de prendre soin de soi quand on est parent d'un enfant hospitalisé ?
Il faut prendre soin de soi parce que notre état va impacter notre enfant et sa santé, tant physique que psychique. L’idée dans mes propos n'est absolument pas de culpabiliser le parent en lui ajoutant une charge mentale qu'il a déjà. Mais effectivement, on sait aujourd'hui, au travers des études (que l’on peut toutes retrouver dans l’ouvrage « L'attachement : approche clinique et thérapeutique (5e édition) » Antoine Guédeney, Nicole Guédeney, Susana Tereno, Elsevier – 2022) que la disponibilité de l'aidant quand quelqu'un est malade va mener à de meilleures chances de guérison, une meilleure santé, une meilleure capacité à faire face à la maladie. Cela est possible en tant qu'aidant, en l’occurrence en tant que parent, puisqu’on est en capacité de prendre soin de soi.
Justement, lorsque le parent culpabilise ou se sent en insécurité, quelles sont les conséquences possibles sur l’enfant ?
Dans le cas de l’hospitalisation d’un enfant, on voit des parents se dire par exemple « Je dois être tout le temps à ses côtés, je ne vais quand même pas laisser mon enfant ». Ils ne prennent pas d'espace pour respirer. L'enfant n'a pas forcément besoin d'une présence H24, mais il a besoin qu’elle soit marquée par une réelle disponibilité physique et psychique.
Le parent doit pouvoir s'autoriser à dire que, régulièrement, il a besoin de relai ; que de telle heure à telle heure, il ne sera pas auprès de l'enfant, sans se sentir coupable
En effet, se sentir coupable, en tant que parent, peut aller très vite. Par exemple on a l’impression, si l'enfant est hospitalisé et qu'on s'absente, qu’il va forcément arriver quelque chose au moment où on ne va pas être là. Donc on se met une pression très importante. Or, la culpabilité paralyse alors que la responsabilité nous permet finalement de mobiliser nos énergies et notre capacité à faire face à l'environnement.
Cela m’est arrivé personnellement : mon fils, étant né grand prématuré, est resté plusieurs mois à l’hôpital. Je ne pouvais pas rester auprès de lui tout le temps, mais je m'appliquais à être totalement disponible quand j'allais le voir. Même si, bien sûr, on a toujours peur pour son enfant.
Dans une situation grave, comme l’hospitalisation d’un enfant, comment a-t-on tendance à réagir ?
Je vais revenir à quelques éléments de compréhension de notre fonctionnement humain, et en particulier sur ce qu'on appelle les liens d'attachement et la théorie de l'attachement. En fait, en tant qu’individu (adulte ou enfant), nous avons un système interne qui va se mettre en mouvement et s'alerter comme une alarme quand on se sent menacé, quand on perçoit un danger dans notre environnement. La maladie de l'enfant va activer cette alarme là pour le parent et pour l'enfant. Il faut comprendre que quand cette alarme est allumée, elle va impacter notre manière d'explorer le monde. Explorer est un terme un peu large qui traduit notre manière d’être curieux de notre environnement. De découvrir tout ce qui nous entoure et ce que nous pouvons apprendre de tout ce que nous côtoyons dans notre quotidien. Il permet par exemple à l’enfant d’apprendre à l’école ou de se faire des copains.
Prenons un autre exemple pour illustrer, comment quand mon alarme interne s’active, je vais être freiné dans mes capacités à explorer mon environnement : Si je rentre chez moi, que j'oublie d'éteindre l'alarme et qu'elle braille dans mes oreilles, je vais tout faire pour l'éteindre… je ne vais pas aller ouvrir le frigo pour « explorer » ce que j'ai comme aliments pour faire à manger. C’est la même chose qui se passe, quand on vient m'annoncer que mon enfant est malade, qu'il est hospitalisé. Toute ma disponibilité et mes pensées sont impactées : « Que se passe-t-il ? Quelle maladie a-t-il ? Quelles sont les chances de survie ? Va-t-il souffrir ? Comment lui expliquer ? Est-ce que les traitements vont avoir des effets secondaires ? » Je suis tout le temps en alerte et donc je ne vais pas être disponible pour me saisir et « explorer » toutes les informations qui me sont transmises par mon environnement.
Parfois, même quand les professionnels vont m'expliquer des choses, je ne vais pas les écouter parce que je suis trop envahi.
Par ailleurs, dans ce moment-là, mon système de « care-giving », c'est-à-dire le système qui me permet de prendre soin de mon enfant, est lui aussi impacté par cette alarme qui hurle à l’intérieur de moi. Je peux me sentir dépassé. Je suis plutôt centré sur mes besoins, que ceux de mon enfant. Rappelez-vous, pendant la crise sanitaire, c’est aussi ce qui s’est passé : lorsque l’on a dit aux parents qu'il fallait faire l'école à la maison, ils ont pu se sentir désemparés. Parce qu’il fallait gérer à la fois la menace du COVID, être dans le « prendre soin » de leur enfant, et en plus de tout cela, être dans la disponibilité d'un parent qui devient enseignant.
Pour finir, ces trois systèmes sont biologiquement inscrits en nous, ce n'est pas juste une histoire de volonté : si vous avez peur pour votre enfant, ce n’est pas facile de se rendre disponible !
Comment prendre soin de soi en cette période ?
Il faut se donner des temps de respiration, de l’espace, pour faire diminuer de système d’alarme. Il faut alors opter pour des choses qui nous font plaisir.
C'est aussi veiller à bien dormir et à s’autoriser à demander des relais, même d’une heure, par rapport à l'hospitalisation de l'enfant. Pendant cette heure-là, il faut se dire « si j'aime aller chez le coiffeur, je vais chez le coiffeur. Si j'aime acheter des livres, je vais à la librairie. Si j'aime aller voir une copine et boire un thé, je vais le faire… »
En désactivant l’alarme je fais en sorte, finalement, d’être vraiment disponible à mon retour, et c’est ce dont mon enfant a besoin.